Or ha Haïm, commentaire de ce texte, qu'il ne s'agit
pas seulement d'un problème des droits de la guerre
mais de quelque chose de beaucoup plus profond qui concerne
notre recherche. Cette belle femme était insérée
dans un peuple ennemi et négatif jusqu'au jour où,
dans la violence d'une guerre, elle peut rencontrer celui à
qui elle était destinée ; elle le sort de sa violence,
lui apprend à se contrôler, convertit en bien et
en beau ces pulsions ; quant à elle, elle attendait ce
moment pour pouvoir manifester sa beauté et sa
force. Il en est ainsi du délinquant : "voilà
le secret, son âme pure était enfermée dans
une gangue impure, préservée, en attendant le
moment de l'éclosion et celle-ci devait se faire par
une phase violente paroxistique qui, seule, lui ouvrirait un
nouvel horizon. Ce temps opportun est arrivé et s'offre
au "hozer bi-techouvah". C'est donc toute la violence passée
qui prend sens et qui va pouvoir porter ses fruits. La proposition
est plus forte que dans le conte de la Belle au bois dormant.
Ici, les pulsions sexuelles et violentes sont simultanément
prises en compte mais les deux dimensions (masculine et féminine)
sont insérées dans le même être :
la complétude ne se joue pas dans l'idylle du mariage
romantique où les deux rôles restent socialement
clivés et le "prince charmant" quelque peu jouvenceau.
Ici, l'homme est pris dans sa réalité véritable
: il aime la guerre, mais il peu aussi devenir autre . C'est
pour cela que l'hébreu ne parle pas de "une femme belle"
(icha iafah) mais de "une femme de ce qui est beau" (eshet-iefat
toar). La violence n'a pas été négative
car c'est elle qui a permis cette rencontre et révélé
le beau inséré dans le violent. La Torah insiste
tant sur l'importance de ce processus qu'elle ne formule pas
l'hypothèse suivante : "si cela se présente
ainsi, tu pourras l'épouser", mais elle prescrit
impérativement : "tu la prendras pour femme" car il ne
faut pas se soustraire à la tâche de l'homme qui
est d'assumer simultanément les dimensions négatives
et positives pour les rédimer ensemble . Cette prescription
d'assomption des tendances diverses et de leur rédemption
simultanée est la 532° prescription de
la Torah. Le commentaire du Chla insiste sur toutes ces
dimensions. Alors seulement l'homme peut être complet
avec ses dimensions masculines et féminines et être
appelée "adam", homme.
L'expérience de cette rencontre positive est tellement
forte que si le guerrier ne peut poursuivre l'idylle qu'il
souhaitait vivre car il a présumé de ses capacités,
il devra cependant ne plus revenir à son mode de vie
antérieure dans laquelle il voyait autrui seulement comme
un objet d'exploitation et de gain ; désormais, il devra
laisser autrui libre .
Ainsi, la dégradation temporaire qui a
été traversée par l'homme prend soudain
un sens. En cela, la Torah tient à rassurer l'homme,
dans le même sens que Joseph rassure son vieux père
Jacob inquiet de mourir en Egypte et non en terre d'Israël,
nom qu'il ne porte plus puisqu'il vit en Egypte. Joseph lui
dit "Anokhi" (Moi), je ferai ce que tu me demandes et
je ramènerai tes os en Israël. Il utilise "Anokhi"
(Je, réservé à D.ieu) pour bien lui montrer
que cette descente dans la qualité de l'être qu'il
a faite en allant d'Israël en Egypte, en descendant du
nom de'Israël à celui de Jacob, était inscrite
dans le plan de D.ieu pour assurer une remontée d'un
plus grand nombre et de la création toute entière.
Joseph donne à son père un code sûr qu'il
comprend immédiatement car il connait les textes nombreux
dans lequel D.ieu avait utilisé cette expression . Ainsi,
le délinquant, 'hozér bi-techouvah trouve
dans ces mêmes textes cette proposition rassurante d'un
sens donné à son passé négatif :
il était une marche préparant la mutation actuelle.
f) La rédemption du corps.
Cette dynamique ne se concentre pas seulement dans la zone spirituelle
du mal et du bien ; la transmutation du négatif en positif
doit s'étendre jusqu'au corps, en raison même du
lien qui unit tous les niveaux de l'être. C'est également
la position de Maïmonide. C'est aussi ce qu'exprime le
psaume quand il met dans la même phrase et donc dans la
même dynamique que D.ieu "pardonne toutes les fautes et
(par le fait même) guérit toutes les souffrances
physiques" . A contrario, celui qui n'entre pas dans cette dynamique
de réanimation globale et s'obstine, son coeur se durcit
comme la pierre et il meurt comme cela s'est produit pour le
violent Nabal .
8) Le choix du remède.
En quoi la Torah, plutôt que toute autre mesure, a-t'elle
pu être choisie comme un remède ou une thérapie
par le 'hozér bi-techouvah?
a) Le risque du remède.
Ce processus de prise de conscience est facilité
par la lecture et l'étude de la Torah. Elle est déjà
un début du renversement du mal en bien car ce renversement
ne peut se faire qu'à travers le bien lui-même
qu'est la Torah. La Torah est la démonstration
de la conscience que le bien est partout ; même
là où est le mal, cette conscience l'aspire et
peut la transformer. Fondamentalement, c'est la Torah elle-même
qui est un risque de mort ou de vie, simultanément, un
risque de tristesse et de joie .
b) La drogue de vie.
Ce qui est particulièrement important, dans l'optique
qui nous concerne ici (avec un arrière-plan sur le rapport
entre la techouvah et la delinquance), c'est que ce rapport
est exprimé par la tradition juive en termes de "drogue
de vie" ou drogue de mort" : s'il applique bien son étude,
ce sera pour lui une drogue de vie (sam haïm)
et, sinon, un poison mortel. Le texte se réfère
là à un jeu de mots sur "sam" (drogue)
et "cham" ("pose") dans le verset : "c'est la Torah que
Moïse pose devant les fils d'Israël" .
Cette même formulation se base sur un autre
texte où le mot "samtem" (posez) est décomposé
par les commentateurs en "sam" (drogue) "tam"
(sûre). De là, il est tiré que la Torah
est une "drogue" de vie pour tout le corps .
Plusieurs métaphores expriment ce
processus de revitalisation :
- Le regard qui, depuis le mal, assure cette
prise de conscience dans l'étude est celui de la prière
. Sa tension est celle de l'espérance : "soyez forts,
ayez le coeur ferme, vous tous qui espérez en D.ieu"3
.
- Cette habitation simultanée dans le mal
et le bien place l'homme dans la conscience que le monde et
lui-même sont l'habitation de D.ieu, Sa maison.
- Il s'ensuit que le psalmiste comprend là
pourquoi D.ieu ordonnait de vivre dans la joie5
ou pourquoi il est dit que "l'homme est un arbre dont la racine
est au ciel" .
Cette conception de l'influence positive de la
téchouvah est condensée en cette phrase : "elle
allonge les années de la vie de l'homme" . L'un des motifs
est que la téchouvah déculpabilise l'homme en
déplaçant le mal vers la faute et non vers
l'homme lui-même. Ainsi, des brigands harcelaient Rabbi
Méir et il demanda à D.ieu qu'ils meurent. Sa
femme, Brouria dont il est toujours fait louange, le reprit
en lui disant :" fais-tu cela parce qu'il est dit que les méchants
disparaitront de la surface de la terre ? Cela se
rapporte aux péchés et non aux pécheurs.
Si le verset dit que les méchants ne seront plus, c'est
par la disparition de leur péché. Il vaut donc
mieux que tu pries en leur faveur afin que la téchouvah
les touche" .
c) Remède ou bonheur.
Vivre sur cette trajectoire ne signifie pas vivre dans le bonheur
dû à la richesse ; au contraire, "les jours du
pauvre sont tous mauvais mais qui a le coeur content est perpétuellement
en fête" .
Inversement, se placer hors de cette position complexe, reliée
entre le mal et le bien, est une fuite de la vie et elle déclenche
tous les maux .
Finalement, la conception de la vie qui ressort
de cet ensemble reste fondamentalement optimiste. L'Ecole de
Rabbi Ishmaël enseignait : même le plus sage peut
fauter mais il faut bien se garder d'en dire du mal le lendemain
car, dans l'intervalle il peut avoir fait téchouvah.
Et le texte précise "vadaï assa techouvah" : pour
sûr, il a fait téchouvah. Le Middrache Tanhoumah
en fait une règle générale : "dans le monde,
il n'y a pas de plaie qui n'ait son remède et le remède
qui concerne les pulsions violentes (le "yetser ha ra"),
c'est la téchouvah ".
9) Le nouvel homme
A quelle conception de l'homme nouveau, le 'hozér
bi-techouvah a-t'il été sensible ?
a) Le potentiel divin en l'homme.
Cette théo-anthropologie de la téchouvah repose
sur trois bases organisées en potentiel :
- D.ieu est "le Maître des forces" , ce qu'exprime son
nom Elokim.
- l'homme est fait "à l'image d'Elokim"
et fonctionne selon ce jeu de forces qui le relie à D.ieu.
- cette dynamique de création de forces contraires est
constamment renouvelée de la part de D.ieu, en chaque
instant, au présent : il "fait" et non "il a fait".
b) L'acte juste : la mitsvah.
En fonction de ce potentiel, l'homme peut également
utiliser cette dynamique en chaque instant, à condition
que sa conscience capte ces forces comme originées par
la source, par la "racine des racines des racines" . Cette pertinence
continue de la conscience et de l'acte avec la source est celle
de la "mitsvah", acte bon ou acte juste, précisé
et prescrit dans la Torah.
c) De la puissance à l'acte.
La téchouvah se manifeste par la pratique de ces mitsvotes
car la tâche de l'homme en ce monde (où il a été
créé pour l'action de "faire" , c'est-à-dire
pour transformer) est de faire passer toute cette
dynamique bi-polaire du mal et du bien depuis une étape
potentielle de "ressemblance" avec les forces jusqu'à
la puissance agissante de ces forces, c'est-à dire
de la puissance à l'acte .
David l'exprimait en ces termes lyriques qui manifestent
bien la dynamique réciproque entre D.ieu et l'homme (traduction
littérale) : "en Elokim, nous ferons puissant et il nous
débarrassera de nos tracas" et "donnons de la vigueur
à Elokim" .
En ce sens, nous pouvons dire qu'il est excellemment ce "poète
de la téchouvah, de la vie, de la libération et
de la résurrection" dont le Rav
Kook entrevoyait la venue nécessaire dans notre culture
.
10) Le jugement et le nouveau processus de changement.
A quelle solution psychologique particulière de changement,
le 'hozér bi-techouvah, bloqué sur le plan
psychologique et condamné sur les plans judiciaires et
sociaux, a-t'il pu être sensible ?
a) La téchouvah est préalable à
la répétition et à l'échec.
La téchouvah est la possibilité de casser le processus
de répétition qui arrête le déploiement
de la vie et qui s'éteint dans la mort. La téchouvah
s'enracine donc dans le processus global du monde. Le monde
répète cycliquement ses jours, ses mois et ses
années mais avant même l'existence de ce monde-ci
qui est à la fois évolutif et répétitif,
la téchouvah existait auprès de D.ieu . Elle est
préalable à la répétition et à
l'échec qui caractérise cet univers-ci.
b) Le retour au dynamisme.
Dans ce monde évolutif et répétitif, elle
est -au milieu de la vie qui risque de s'altérer-
le mouvement vital qui retrouve sa dynamique par le lien renoué
avec les processus créatifs initiaux : "si tu fais téchouvah,
vers Moi tu reviens" .
c) Le lien retrouvé avec les processus
créatifs initiaux.
Située entre ce monde-ci et un autre monde, la téchouvah
est également placée entre l'acte et la mort.
Dans la téchouvah, l'homme ne rejoint pas seulement la
source de vie, il rejoint également sa propre source
d'échec : "inscrivez cet homme sans postérité,
comme un malheureux qui ne réussit rien au cours de sa
vie" .
C'est, souvent , par le sentiment confus de cet échec
complet ayant sa source dans l'intime de la personne que nait
le sentiment profond d'abandon, caractéristique de chaque
homme mais surtout des délinquants. Bâtir là-dessus
des théories expliquant la délinquance par la
frustration sociale ne considère que la face superficielle
du problème.
d) La téchouvah est la vigilance continue
qui, de jour en jour, transcende la mort .
La rencontre des sources intimes (source d'échec et source
de vie), change l'abandonnisme en filiation vivante : "au lieu
de s'entendre dire : vous n'êtes pas mon peuple, ils
seront dénommés, les fils du D.ieu vivant".
e) La téchouvah est donc la possibilité
de casser la répétition mortifère. La régression
mortifère se change en régression positive anti-abandonnique
: "D.ieu prendra plaisir aux offrandes comme Il faisait
dans les années d'autrefois" . Au lieu de l'effondrement
dépressif, c'est un développement différent
qui se met en marche : chaque bonne action ("mitsvah")
déclenche une dynamique nouvelle ("mitsvah goreret
mitsvah" Avote 4, 2).
La descente vers les dimensions négatives intérieures
qui permettent ensuite l'accès aux sources internes
de vie, se produit de plus en plus rapidement , si bien que
la présence interne de D.ieu peut dire :"il n'aura
pas encore appelé que, déjà, J'aurai répondu"
.
f) L'annulation des sentences par la téchouvah.
Parce qu'elle casse ainsi la répétition
des échecs , la téchouvah peut
- arrêter les décrets des jugements divins envers
l'homme ,
- les suspendre,
- les annuler. "Rien ne peut résister à
la téchouvah, même l'idôlatrie et l'immoralité"
. Cette annulation va jusqu'à l'annulation du souvenir,
même s'il s'agissait du plus grand pécheur ("Racha
gamour") dans la mesure où il fait téchouvah
.
Devant l'importance de cette dynamique d'annulation
et ses répercussions dans le psychisme des délinquants,
sensibles ou vulnérables à ces métaphores
et à cette dynamique, nous devons l'analyser plus longuement
que d'autres points.
Disons tout-de-suite que cette puissance de la téchouvah
sur le décret divin vient de ce que -du côté
de D.ieu, si l'on peut dire- le jugement n'est jamais une condamnation
: "il ne veut pas la mort du pécheur mais qu'il vive"
. Face au mouvement de la téchouvah, le décret
s'arrête temporairement pour permettre à celui
qui s'est condamné lui-même de sortir de l'automatisme
du mal : c'est, à l'intérieur du procès
de jugement lui-même, un report pour prendre le
temps de la modification, de l'amendement.
Pour bien comprendre la signification de cette
dynamique et son importance, expliquons-là.
g) La rigueur du jugement dans la Création.
Les Middrashim expliquent que D.ieu a d'abord eu l'intention
de réaliser la création sous l'égide interne
du "dine" (la rigueur du jugement) , afin que le monde
reste centré dans le respect de l'ordre bénéfique
voulu par le maître (concept de "crainte de D.ieu") mais
Il comprit que le monde ne pourrait pas subsister ainsi
: l'homme fauterait et l'univers serait brisé ; si, autre
hypothèse , Il créait le monde uniquement
sur la bonté et l'amour, cette facilitation de toutes
permissions conduirait encore plus rapidement à l'auto-destruction.
h) Ra'hamim ou la bonté à
l'intérieur du jugement.
Tout le Zohar est la description et l'exploitation pédagogique
et conceptuelle du choix fait par D.ieu : maintenir la rigueur
du jugement mais le subvertir de l'intérieur ("lifnim
mi-chourate haddine" ) par une forme particulière
de bonté qu'est la miséricorde. Les textes parlent
explicitement de la solution trouvée par D.ieu : un "compromis"
(bitsoua) à l'intérieur du jugement . Ensuite,
ils montrent abondamment comment les Sages ont appliqué
eux-mêmes cette démarche dans les conflits humains
qui nécessitent un jugement mais qui doit être
pédagogique et non destructeur.
L'exemple, habituellement le plus mal compris car les
hommes sont tellement aveugles à la compréhension
d'une telle solution, est celui de ce que j'appellerai le "pseudo-sacrifice"
d'Abraham ou de Isaac ; en effet, ce sacrifice n'eut pas
lieu mais était une mise-en-scène poignante de
ce qu'il fallait affronter. Abraham -qui est uniquement habité
par la dynamique ou l'idéologie de la bonté pour
le fonctionnement du monde- s'oppose à son fils
Isaac, farouche partisan de la rigueur absolue y compris dans
le juste sacrifice de sa propre vie si cela peut régler
les problèmes. Finalement, le psychodrame ira jusqu'au
bout du "nissaïone" (épreuve), le sacrifice sera
posé sur Isaac et le dénouement sera heureux
pour chacun qui aura renoncé à son idéologie
exclusive.
Un autre modèle en est donné en Rabbi Yéhoshoua
qui parvient à mettre sur pied une justice basée
sur la vérité et la rigueur mais qui ne
sacrifie en rien la paix, ce que réalisait également
David : justice et bonté, ce qu'était exactement
la prescription de D.ieu à l'homme quand Il lui demandait
d'être saint comme Lui-même l'est.
i) La permanence de la bonté dans l'être.
C'est de ce niveau conceptuel que découle une action
thérapeutique particulièrement importante,
celle de la perception de la permanence de la bonté dans
le temps. Quand les treize différentes qualités
de D.ieu perceptibles par l'homme lui sont dites . Cette liste
commence par la répétition du tétragramme
de bonté. Les commentaires soulignent que cela indique
que l'attitude de bonté de D.ieu reste la même
avant la faute de l'homme et après qu'il
ait péché et qu'il se soit repenti .
Il s'ensuit, pour l'homme, la conscience que son
être même garde la stabilité, au delà
des variations dans l'expression de ses tendances et pulsions,
au delà des multiples étapes destructrices : "j'ai
péché, j'ai persévéré, j'ai
transgressé" comme il dit dans les textes de confession
("vidoui"). Son être est fondé sur la permanence
de la bonté. C'est, peut-être, aussi pour cela
que lors de Kippour il est parlé précisément
de l'être ("itsoumo") de ce jour qui a le pouvoir
d'acquitter. Ce n'est donc pas contre D.ieu fondamentalement
que s'était exercée la transgression mais à
l'intérieur de la variabilité de la relation,
dans la relation de "tu", c'est ainsi que nous pouvons entendre
les textes qui disent : j'ai péché contre
"tu". C'est l'attitude relationnelle qui était
atteinte mais cela est réversible car D.ieu est intangible
et Il se manifeste à l'homme comme tel. Les prophètes
reprendront ce thème en doublant leur déclaration
: "paix pour celui qui est près et paix pour celui qui
est loin" .
j) Le jugement par ra'hamim dans
l'action.
Nous aboutissons ici à des conclusions sur lesquelles
nous avons longuement réfléchi et dont les répercussions
dans la dynamique relationnelle entre les hommes semble capitale
:
Première conclusion : la vanité
et l'inefficacité des procédures humaines de mise
en jugement qui repose sur le seul "dine" apparaissent clairement.
C'est le cas également de la majeure partie des actions
politiques, des luttes idéologiques dont les succès
successifs ne changent aucunement la haine entre les clans et
la violence, c'est aussi la maladie des "commissions d'enquête"
au nom de la justice, des droits, des valeurs qui sont au dessus
de chaque citoyen, de la démocratie, etc. : derrière
la nécessité de ces procédures pour
défendre les valeurs de la démocratie et derrière
le caractère bénéfique de ces démarches
pour défendre les valeurs morales n'éclot,
finalement, le plus souvent, que la volonté de lynchage
permanent et la destruction masochiste du semblable, ce qui
n'était aucunement le résultat escompté
initialement. C'est encore le cas du système pénitentiaire
: le jugement ne se traduit pas par une efficacité interne
du ra'hamim ou du "lifnim mi-chourate haddine" : la justice
par violence institutionnelle répond simplement à
la violence individuelle et ne la corrige pas ; ensuite, on
ne fait que se lamenter sur le récidivisme absolu et
l'effondrement progressif de la société.
C'est aussi l'attitude de jugement sans pitié de l'humanité
envers les enfants (la mort par faim, par l'enrôlement
dans les armées, l'esclavage des enfants), envers les
femmes (viol, discrimination éducative et sociale, exploitation
financière, sexuelle), attitudes toujours justifiées
avec dureté (le "dine") par cet argument
: l'homme est ainsi fait, il n'y a pas d'autre possibilité.
Face à cet ensemble, la téchouvah
propose à celui qui revient (et au délinquant
en particulier), la découverte d'un autre système
qui lui est parallèle et qui se caractérise par
:
- l'ordre judiciaire divin qui lui propose la remise totale
de ses peines, le retour à la virginité du casier
judiciaire passé très chargé ; cette remise
est basée sur le fait que -contrairement au stigma social
qui se place sur le condamné et le marque définitivement
comme quelqu'un qui possédait en lui la capacité
d'être nuisible, incapable de respecter le bien des gens
et les lois- le système biblique affirme que cet homme
n'a jamais été fondamentalement mauvais car
il n'y a pas d'homme fondamentalement mauvais.
Ainsi, Antonin demanda explicitement à Rabbi si l'enfant
est mauvais et dominé par le "yetser hara" dès
sa conception et le rabbin répondit : "non, car
il est dit que le péché n'est pas avec toi dans
le ventre de la mère mais il ne te guette qu'à
la porte (de sortie du ventre)".
Le mal est ainsi représenté comme venant de l'extérieur
et l'image de soi reste fondamentalement bonne. L'enfant lui-même
ne peut, véritablement, être un pécheur
: "si les grands ont péché, les enfants qu'ont-ils
fait comme péché ?".
Face à cette composition de base qui est
positive chez l'homme, la punition de l'homme en cas de faute
ne peut pas, elle non plus , être entièrement négative,
voilà pourquoi D.ieu veut l'amendement par la bonté
et non le sacrifice qui extermine . Il est un bon juge qui ne
souhaite pas la mort du pécheur mais qu'il se repente
et qu'il vive
- la remise immédiate de la peine alors
que les jugements humains ne peuvent pas abréger totalement
les sentences. La tradition précise les différents
cas, parmi les plus graves, dans lesquels le lecteur verra la
proposition de cet accès rapide à l'issue de la
peine . Proposition attirante pour celui qui se sait emprisonné
non seulement dans ses redoutables penchants mais encore entre
les murs d'une prison. La fête de Kippour est en grande
partie basée sur la dynamique progressive de la réduction
des peines au cours des heures de la journée : la prière
continue est une longue plaidoirie qui aboutit à cette
réduction et suppression.
Cette éventualité de rapidité n'est cependant
pas une facilité car elle dépend de la volonté
qui s'y exercera, de l'intensité et de la complétude
dans la prise en charge de toutes les tendances négatives
pour leur retournement en positif.
C'est à partir de là que se sont
développées les techniques élaborées
pour faire franchir les stades de la techouvah . La tradition
place un état intermédiaire entre la non-téchouvah
et la téchouvah : le stade où celui qui l'entreprend
le fait à l'intérieur de motivations intéressées
("chelo lichmah") ; non seulement cette étape
existe et permet d'aller de l'intérêt au
désintéressement mais elle est nécessaire
; Rabbi Haïm de Volozhin insistait fortement sur la nécessité
de cette étape préparatoire et transitoire . Celui
qui était condamné par les hommes et laissé
à l'abandon par eux pendant tout le temps de sa peine
se trouve donc placé face à un espoir mais aussi
face à la nécessité de recourir à
des maîtres en ce type de rééducation.
Deuxième conclusion : la capacité
d'être soi-même son propre avocat et son propre
juge par la connaissance de la constitution (la Torah) et du
Code civil des lois (la halakhah) dont la dynamique interne
n'est pas seulement le droit mais également la
morale . Celui qui fait ce "retour" à la morale interne
du monde ne débouche pas alors vers une religiosité
mais vers une compétence juridique qui se porte sur toutes
les dimensions de l'existence. L'ex-"délinquant" reçoit
des instruments pour analyser sa typologie personnelle (par
exemple : "il y a trois catégories d'homme : celui qui
dit ce qui est à toi est à moi, celui qui dit
ce qui est à moi est à toi, celui qui dit ce qui
est à moi et ce qui est à toi sont à moi..."
Avote), ses tendances, sa relation, pour analyser la dynamique
son acte après sa réalisation, son degré
de responsabilité, d'humanité ou de deshumanité
('kofine midate sdom"), etc. L'homme a même l'audace
de renverser le problème : il condamne l'oeuvre de D.ieu
qui n'a pas rendu l'homme très bon et la tâche
de l'homme, comme un bon juge est de devenir méticuleux
dans sa pensée et dans son action pour bien agir (ché
ypachpéche bémaâssav).
Troisième conclusion : une solution
est proposée qui diffère des mesures judiciaires
habituelles qui en restent à des corrections externes
(amende financière, enfermement), c'est la mesure personnelle
de contrôle des pulsions personnelles : "le mauvais est
dominé par les pulsions de son coeur mais les justes
ont ces pulsions sous leur domination ...et qui est un champion,
c'est celui qui a la maîtrise de son instinct ". D.ieu
ne propose pas la réduction de l'homme mais de développer
sa capacité de choix devant ce qui mène à
la vie et ce qui mène à la mort .
Quatrième conclusion : face à un
ordre repressif qui n'a trouvé comme thérapeutique
que l'enfermement, un délinquant prisonnier sera sensible
au fait que l'autre ordre judiciaire (le divin) "désire"
que l'homme soit libre . Le principe de la liberté
est ce qui place même l'homme en toute indépendance
par rapport à D.ieu : "tout est dans les mains de D.ieu
sauf la crainte de D.ieu" .
Plus encore, D.ieu fournit à l'homme le trousseau de
clefs pour s'évader de la prison, l'instrument nécessaire
pour parvenir à cette liberté qui est celle
du pouvoir personnel sur ses instincts et sur ses actes : ce
contrôle se réalise par l'étude, super-antidote
("tavline" ). Sorti du non-contrôle des pulsions
ou de la prison des dossiers et jugements humains, celui
qui fait téchouvah par l'étude ininterrompue et
laborieuse acquiert une telle indépendance qu'il devient
"fils du monde à venir, ben ha olam ha ba".
Cinquième conclusion : celui qui
n'était que violence dans la relation humaine (le dine
ou, métaphoriquement, le vin) peut découvrir un
confort d'un ordre différent et plus doux, comme le disent
les commentaires du Cantique des Cantiques sur le verset "ton
amour est meilleur que le vin".
Sixième conclusion : l'ordre judiciaire
de la société, même s'il est basé
sur la visée d'un ordre plus grand de l'univers,
peut apparaître brusquement comme cruel, humainement ou
intellectuellement peu évolué, impuissant ou marginal
par rapport à la sagesse nouvelle. Cet ordre peut être
intrinséquement contesté et le processus de réadaptation
sociale rencontre là un nouvel obstacle imprévu.
Devant les rois terrestres (et les juges), l'homme arrive les
mains pleines et repart les mains vides mais devant le
roi suprême, il arrive les mains vides et repart les mains
pleines.
Cet ordre social est contesté aussi parce qu'il apparait
comme était surtout porteur d'interdictions et incapable
de placer comme lois des obligations positives dans les rapports
de l'homme avec son prochain alors que les lois de techouvah
et de relation positive à autrui et de réparation
des torts sont impératives .
Les textes ajoutent que, non seulement l'homme a gagné
tout cela mais, encore, face à ceux qui sont bardés
de fonctions et titres qui leur permettaient de le juger, il
se trouve doté du titre de "rabbi" .
Septième conclusion : contrairement
au système judiciaire tel qu'il peut être observé
par les transgresseurs des lois, où les uniformes (policier,
procureur, juge, avocat, gardien, etc) permettent à ces
fonctions d'être distinguées de coupable, la
tradition conteste cette répartition inégalitaire
des valeurs, place à égalité tous les hommes
devant la faute et devant la techouvah : tous pèchent
et aucun ne fait le bien.
Cet ensemble pose la question d'un anarchisme contestataire
derrière la techouvah ; cette éventualité
n'est pas à écarter dans la démarche individuelle.
Il arrive épisodiquement que ces mouvements de téchouvah
débouchent en initiatives illégales de la part
de quelques groupuscules.
Par contre, cet autre ordre révèle
également l'importance de la loi fondamentale et égalitaire
et les fruits qu'elle peut assurer lorsqu'elle est respectée.
11) Le sens de l'échec.
Quel sens nouveau le 'hozér bi-techouvah a-t'il
pu donner à son échec personnel antérieur
pour s'appuyer dessus et avancer à partir de là
?
a) La création dans le cadre de l'insatisfaction
et de la déception.
Sur le plan existentiel, dans le rapport intime
de soi aux autres, au monde ou à soi-même, la téchouvah
ne peut se mobiliser que dans le cadre de l'insatisfaction et
de la déception. Un coeur est brisé parce qu'il
ne supporte pas son échec en comparaison des espoirs
qu'il avait placé en soi-même ou en quelqu'un d'autre.
Seul ce coeur-là est encore disponible pour
un mieux. Il n'est pas fermé ni repus. Il peut aussi
bien entendre autrui, homme ou Dieu, se rapprocher de l'autre
et de soi-même : "les offrandes d'Elokim sont un coeur
brisé" , ... "mon coeur est abattu et vit à l'intérieur
de moi-même" .
A contrario, la tradition juive tempête
contre les "insolents" et les "effrontés" qui sont
fermés à toute attente . Le retard placé
entre l'espoir et la réponse dans toute relation humaine
est supprimé par les "insolents" qui
installent leurs propres idoles comme le firent les Hébreux
dans le désert, quand ils installèrent un
veau en or et lui organisèrent un culte lors de l'absence
prolongée de Moïse. Dans le désert,
les Hébreux avaient comblé ce manque immédiatement
; ils avaient tout à leur disposition sauf la téchouvah
.
Cette arrogance et cette grossièreté
intérieures qui donnent à l'homme l'impression
de s'élever au dessus d'autrui comme l'aigle sont
dénommées comme l'expression des vitalités
internes et incontrôlées de "l'autre côté",
la "Sitra A'harah". Cette attitude indélicate
conduit l'homme à commettre les forfaits contre D.ieu
à travers autrui ; c'est comme une barrière grossière
qui arrête le contact du regard et de l'écoute
. L'arrogant est séparé, enfermé
dans une enveloppe .
Cette enveloppe est si dure qu'il est comme mort : "les méchants,
de leur vivant ils sont appelés des morts" .
Il est également enfermé dans un nuage ou
dans un brouillard qui l'empèche d'exercer sa pensée
et son discernement. Il n'est pas capable de faire le bilan
de lui-même nécessaire pour la téchouvah
.
b) La honte.
Au contraire, l'insatisfaction ressentie s'accompagne d'un sentiment
de honte. C'est, à la fois, la preuve d'une grande
sensibilité, d'une capacité de remise en question
personnelle, d'une attention à autrui et d'une
présence interne à l'autre. Ce sont là
les caractéristiques du peuple juif, disent les textes
. Ce sont des conditions nécessaires et préalables
pour que la téchouvah puisse se mettre en mouvement.
c) La brisure.
Cette ouverture nécessaire est représentée
dans le dessin même de la lettre hébraïque
hé, lettre de création, par un passage placé
dans le graphisme de la lettre.
C'est une brisure ambivalente qui est à
la fois très bonne parce qu'elle crée une
ouverture mais toute brisure est également pénible
et vécue comme une mort parce qu'elle casse l'impulsion
naturelle à l'expansion .
Cette double caractéristique est exprimée
également dans l'instrument même de la téchouvah
qu'est le chofar, cette corne dont il est sonné, image
corporelle de l'homme chez qui la vibration doit atteindre tout
l'être. Les commentateurs parlent de la forme que doit
avoir ce chofar : la plupart (Rachi, les Tossaphotes et Maïmonide)
optent pour la corne courbée du bélier qui est
comme le coeur brisé et incliné, tandis que d'autres
admettent le shofar simple et droit et décoré
d'or comme quelque chose qui est bien posé, mais à
condition que tout cela n'altère pas la qualité
naturelle du son dans sa simplicité native car, en fait,
ces deux attitudes (la courbure et la droiture du bonheur) sont
interdépendantes.
12) La religiosité.
En quoi ce sens nouveau est-il ou non religieux ?
Prenons le texte central de Deutéronome
3O, 11-14 : "car cette loi que Je t'impose en ce jour, elle
n'est ni trop ardue pour toi, ni placée trop loin.
Elle n'est pas dans le ciel, pour que tu dises "qui montera
pour nous au ciel et nous l'ira quérir, et nous la fera
entendre afin que nous l'observions ?". Elle n'est pas non plus
au delà de l'océan, pour que tu dises : "qui traversera
pour nous l'océan et nous l'ira quérir, et nous
la fera entendre afin que nous l'observions?". Non , la chose
est tout près de toi : tu l'as dans la bouche et dans
le coeur, pour pouvoir l'observer !". En ce texte, il s'agit
d'éliminer d'abord et rapidement les voies de l'illusion
: ce sont elles qui détournent de l'affrontement à
la réalité et proposent de croire que la téchouvah
serait trop ardue, trop éloignée de soi, serait
dans les cieux, viendrait d'un messager du ciel ou d'un envoyé
d'un univers lointain.
13) L'étude.
Pourquoi cette évolution s'appuie-t'elle particulièrement
sur l'étude et sur la pensée inscrite dans la
parole ?
a) L'étude.
Rabbi Yohanan et Resh Lakish tombent d'accord pour affirmer
que le travail moral, et psychologique dirions-nous aujourd'hui,
que représente la téchouvah vaut mieux que toutes
les mesures brutales comme l'écrit Salomon : "la
démonstration produit plus d'effet sur l'esprit d'un
être intelligent que cent coups de bâton sur un
sot". La course désordonnée ne peut aboutir et
il faut revenir à l'étude calme de la lettre écrite
par l'amant, comme dit le prophète Osée : "elle
a couru après ses amants sans pouvoir les atteindre ;
elle les a cherchés et ne les a pas trouvés et
elle se dit : allons, je veux retourner (téchouvah) auprès
de mon premier mari" .
L'étude permet de mobiliser la réflexion
personnelle et individuelle dans la démarche de la téchouvah.
Cela permet d'éviter ce qui serait une démarche
superficielle et, surtout, une téchouvah conventionnelle
: "il y a ceux qui pèchent , qui apportent un sacrifice
de réparation et qui font téchouvah, et il y a
ceux qui péchent , qui apportent un sacrifice de réparation
et qui n'ont pas fait téchouvah" .
C'est pour cela que parmi les sept choses qui furent créées
avant la création du monde lui-même figurent ensemble
la torah (l'étude) et la téchouvah .
b) La pensée-parole, lieu du face à
face dans les lettres.
Le passage du Deutéronome cité plus haut situe
les lieux fonctionnels de la téchouvah : "non,
la chose-parole est tout proche de toi , dans ta bouche, dans
ton coeur, pour la faire". Nous avons déjà décrit
ce qui est entendu par cette proximité intense mais que
signifient les trois instruments mis ainsi en relation
(bouche, coeur, acte) ? L'acte correspond aux mitsvotes (les
bonnes actions prescrites dans la Bible). Le coeur englobe
le travail interne sur les sensations, les émotions et
l'imaginaire.
Pour bien comprendre le terme de "davar" (chose-parole-bouche),
nous devons recourir à ce qui est explicité dans
la traduction de la Bible par Onkelos en plusieurs autres endroits.
Quand Onkélos traduit en araméen
"et l'homme devint vers un être (néféche)
vivant" , il rend "nefesh" (l'être sur un plan d'identité
personnelle psychologique) par rouah memalelah
(esprit de parole). Nous devons comprendre cette définition
biblique de l'homme en tant qu'être de parole-langage
car, effectivement, la tradition juive dans laquelle se déroule
le processus de téchouvah est bien le royaume du langage.
Onkélos récidive quand il traduit
"la terre était une même langue et des paroles
semblables" par "mamlél" . Mais il nous donne la
clef du sens quand il traduit par cette même racine les
différentes composantes de ce mouvement de retour (téchouvah)
vers D.ieu du prototype humain qu'est Moïse dans l'approche
et dans la rencontre du buisson ardent : "et D.ieu parlait
(mitmaléil) avec Moïse face (mamlél)
à face (mamlél) comme parle (mémaléil)
un homme avec son ami". Onkélos voudrait-il indiquer
par là que ce retour juif au feu intime et à D.ieu
ne se joue pas dans l'illusion de l'image mais par cet instrument
rigoureux et communicatif de réciprocité et de
face à face qu'est le langage.
On peut ainsi mieux comprendre pourquoi Rabbi 'Haïm, auteur
du Nafesh 'Haïm, tout en n'attaquant pas la
"flamme ardente" des 'hassidim, contestait la prétention
de certains à la rencontre extatique hors de la rigueur
du mot situé dans la Torah et découvert
à travers l'étude. Pour s'avancer dans cette voie,
il ne faut donc pas prendre appui sur des fantasmes personnels
ni sur un style de comportement groupal particulier mais il
ne faudra prendre appui que sur des paroles comme dit le prophète
déjà cité : "revenez à D.ieu...
prenez avec vous des paroles" .
En effet, le processus créatif profond
et véritable, comme l'exprime bien Onkélos , c'est
la parole, c'est aussi par elle que l'homme et D.ieu sont unifiés
et reliés en ce sens que D.ieu a créé le
monde par des paroles comme Adam a créé des êtres
en les "nommant" . Et ce lien des deux paroles -divine et humaine-
réunies en une seule, c'est le texte même de la
Torah, prototype de la parole de D.ieu et, simultanément,
de la parole de l'homme, ou de la parole à venir
de l'homme à venir.
C'est le motif pour lequel la téchouvah se fait par la
reconnaissance verbale des fautes, par leur expression verbale
précise (le "viddoui") sur laquelle Maïmonide
insiste et c'est pour cela que le Talmud parle de l'acte de
réparation par la parole ("kaparat devarim").
Cette importance de la parole réparatrice est aussi en
correspondance avec l'importance de la parole destructrice qu'il
s'agit d'annuler. En effet, plus que les armes, un mot utilisé
pour humilier quelqu'un le tue réellement .
L'importance de la parole dans la téchouvah se manifeste
aussi dans les plaidoiries argumentées de Moïse
auprès de D.ieu en faveur d'Israël pécheur
14) Le désir.
Quelle est la nouvelle relation du sujet à son désir
dans cette évolution?
Nous ne séparerons pas les deux niveaux
du coeur et de l'acte car les pédagogues de la téchouvah
(Yonah Gérondi, Maïmonide, Rav Kook) développent
le sens du discernement à travers l'action :
a) Le désir.
C'est le "désir" qui est la racine de l'action1
et c'est lui qui est concerné par la téchouvah
: il renouvelle ses manifestations, se camoufle , réapparait
sous d'autres formes pour trouver sa satisfaction et joue
sur la confusion .
Le désir est présent dans la téchouvah
par une autre approche : face à l'interprétation
spirituelle de Dieu dans la Bible : "que celui qui souhaite
entrer entre" , l'individu se trouve confronté à
son propre désir, à ses aspirations intimes.
b) Les freins du désir.
Le désir bute également sur de nombreux
freins, ou se manifeste dans des niveaux de conscience très
faibles, ou dans des manifestations répétitives
.
c) La connaissance du désir.
La méthode consiste donc à se centrer sur les
attitudes psychologiques personnelles, à se connaître,
à s'entendre et à chercher ainsi ses propres
voies sur beaucoup de niveaux et jusque dans
les détails .
Nous pourrions résumer cette importance de la connaissance
psychologique, aujourd'hui élaborée en méthode
dans la psychothérapie, par cette phrase de Maïmonide
: "selon la connaissance, l'amour" . Mais ce désir doit
être examiné et éprouvé dans l'action
pour ne pas se contenter de fausses lucidités ou de fausses
repentances et pour découvrir si le désir du coeur
s'est rectifié. Maïmonide prend un exemple très
concret et pulsionnel pour l'exprimer : le véritable
"baal téchouvah" est celui qui ayant eu un rapport
interdit avec une femme, a fait techouvah et se retrouvant seul
avec elle parvient à gouverner son attitude . Le Talmud
était encore plus précis : "avec la même
femme, dans les mêmes circonstances, au même endroit"
.
d) Le désir et l'acte.
Ces pédagogues de la tradition juive indiquent que, par
cette exigence de recherche, "la méditation sur la téchouvah
mobilise déjà la téchouvah en réalité"
. Elle est un mouvement continu d'ouverture . Le processus est
basé sur le fait qu'une faute entraine une autre faute
parce qu'elle donne ensuite l'impression qu'elle est permise
, comme un acte bon entraine lui aussi un autre acte bon
parce qu'il semble possible et intérieurement autorisé
: ainsi, la recherche de la téchouvah est elle-même
la téchouvah.
Cette conception de la valeur de la connaissance et du désir
en acte est très importante car elle neutralise un subtil
blocage dans le processus de rénovation personnelle.
Placer l'auto-appréciation seulement au niveau
de la qualité des actes réalisés
entrainerait la déception, la dépreciation personnelle
puis, cette dépréciation enlèverait toute
force, tout attrait pour essayer de s'améliorer devant
la conscience persistante des tendances négatives ; c'est
ainsi, dit le Rav Dessler, que le "yetser ha ra"
(tendances négatives) parvient à neutraliser
et à absorber le "yetser ha tov" (tendances positives)
: "ce n'est pas assez que les méchants ne changent pas
le yetser ha ra en yetser ha tov, ils ont même
transformé le yetser ha tov en yetser ha ra" .
SUITE
ET FIN