![]() Le Lév Gompers
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Livre scientifique on-line (162
pages A4)
PLAN I° PARTIE
II° P A R T I E
III° P A R T I E
I° PARTIE
I° PARTIE 1. Présentation
Une psychothérapie ou une cure médicale qui soient l'œuvre d'un être humain, d’un artiste et d'un créateur autant que d'un scientifique, qui soient l'œuvre d'un thérapeute cultivé ouvert sur les cultures, l'œuvre d'un philosophe qui ne joue pas à l'apprenti sorcier et qui connaisse les recherches qui l'ont précédé, l'œuvre d'un homme qui partage le sens en travail dans les évolutions contemporaines, voilà le minimum qu'un patient espère. C'est la tâche à laquelle je m’exerce laborieusement depuis l960, ayant eu la chance d'être en contact avec de tels maîtres lors de ma formation. C'est aussi le programme vers lequel je tends dans l'enseignement, dans la formation personnelle des psychothérapeutes ou dans leur accompagnement sur le terrain par la supervision de groupe. Face au malade physique ou psychique qui
-en plus de ses maux- porte également la douleur venant de sa propre
incompréhension, nous médecins, psychothérapeutes,
psychanalystes, nous cherchons à comprendre la dynamique de cette
pensée inconsciente qui perturbe la globalité de la personne.
En écoutant le patient, nous essayons de répondre à
ces questions :
Que le lecteur me permette de lui présenter le parcours que j’ai suivi dans mes travaux sur ces dysfonctionnements : dysfonctionnnement intrapsychique, psychosomatique, relationnel et sociétaire. Cela permettra aussi au lecteur de situer ce livre dans l’interdépendance des problèmes de notre temps. Ma recherche est passée par plusieurs
étapes :
Depuis, comme Professeur à l’Université
Bar-Ilan, j’ai transmis ces outils aux étudiants qui sont en cours
de Maîtrise de Criminologie Clinique, particulièrement par
la formation de psychothérapeutes, des criminologues cliniciens,
d’intervenants en toxicomanie, qui seront aptes à devenir des analystes
et thérapeutes au niveau de la violence collective aussi bien que
de la délinquance et de la déviance. Parallèlement,
je fondais l’Association Internationale d’Echanges Scientifiques sur la
Violence et la Coexistence Humaine, en équipe avec d’éminents
scientifiques de nombreuses disciplines et de vingt quatre pays des différents
continents. Le Batonnier Louis-Edmond Pettiti et le Professeur Venant Cauchy,
de Montréal, président activement aux destinées de
l’Association. Un premier Congrès fructueux s’est tenu à
Jérusalem et le second se tient en 1992 à Montréal.
A Paris, mon enseignement s’est donné en particulier dans le cadre
du Laboratoire de Psychologie Pathologique de la Sorbonne et du DEA de
Santé Mentale de Paris V. L’ensemble de cet enseignement consiste
à développer les moyens d’analyse de la violence intrapsychique
(comme source ou comme lieu de régulation) qui passe du plan imaginaire
à la réalisation en acte corporel contre le corps d’autrui
ou contre le corps propre.
Quand j’ai rencontré cet opuscule écrit vers l8OO-l8Ol, “L'Essai sur les Songes”, de Cognasse Desjardins, qui se centre sur ces problèmes, je l’ai lu et relu de nombreuses fois, pendant plusieurs années, ne parvenant pas à comprendre comment, en si peu de pages et il y a si longtemps, il pouvait poser des questions que nous nous posons aujourd’hui, le faire dans nos termes actuels et tenter d'y répondre par des voies si proches de celles de nos recherches contemporaines. Je ne comprenais pas comment cet opuscule pouvait avoir été ignoré jusqu'à maintenant pas les collègues si nombreux qui, dans le champ de la psychiatrie, de la psychanalyse ou de la médecine, avaient sondé et sondent les travaux des siècles précédents pour y trouver un renouvellement salutaire dans leur pratique. Une longue recherche s'ouvrait devant moi ; avec prudence et précision, j’ai recherché les traces de l'auteur, j’ai cherché à le comprendre, sans pitié pour mes propres hypothèses et, progressivement, il m’a fallu me rendre à l'évidence : dans sa simplicité apparente, l'Essai de Cognasse Desjardins est véritablement un ouvrage majeur dans l'Histoire de la psychologie. Il inaugure le domaine de la psychologie contemporaine et de la psychosomatique, comme Pinel a ouvert le champ de la psychiatrie contemporaine. En effet, nous pouvons nous reconnaître
dans les préoccupations et recherches de l’auteur,
Ce texte nous importe car nous sommes actuellement à la jonction de deux univers : une société termine son existence, celle de la montée industrielle et des classes sociales, celle de l'émergence des états nationalistes, mélange de bourgeoisie, de capitalisme et de socialisme aux conflits stabilisés ; une autre société émerge, basée sur la communication internationale, l'intelligence artificielle, l'informatique, les media, la politique-spectacle, le non respect des cultures et des économies minoritaires. Dans ce temps de rupture du sens des choses et des valeurs, d’anomie où la somatisation s'étend au même titre que le refuge dans les paradis artificiels, la psychopathologie prend des formes particulières : le sens de l'homme et la thérapeutique sont à réinventer. Les psychothérapeutes et psychiatres, dans leur rôle d'aide, ont plus que jamais besoin de comprendre comment d'autres ont réussi autrefois -dans des périodes de transition historique- à faire émerger de nouveaux modèles qui, eux, ne soient pas une rupture avec la sève antique. Seule l'ignorance têtue pourrait faire croire qu'il n'y a pas d'enseignement dans les écrits des rénovateurs qui nous ont précédés. Ainsi, ce texte de Cognasse Desjardins, à la limite exacte qui fait la jonction entre l'Antiquité finissante et la Révolution Française, ce texte qui est encore le témoin de la culture médicale séculaire, a ouvert les questions les plus modernes développées aujourd'hui par les thérapeutes : médecins, psychiatres, psychosomaticiens, psychothérapeutes et psychanalystes. Mon étude a pour but également de présenter au lecteur les pièces du dossier qui permettent de comprendre concrètement comment une institution d'enseignement, l'Ecole de Médecine de Montpellier parvenait à donner à ses étudiants, en cette fin du XVIII° siècle, une formation qui manifestait une telle capacité de réflexion, de jugement, de création et de liberté d'esprit. S'imposeront d'eux-mêmes de nombreux enseignements pour la formation de base ou pour la formation continue des thérapeutes. Cette approche permettra également, peut-être, de relativiser l'assurance de quelques travaux contemporains en psychothérapie ou dans l'analyse, dont la prétention catégorique d'originalité relève souvent d'une méconnaissance de l'Histoire. Je présenterai succintement l'Essai
sur les songes de Cognasse Desjardins, puis j’emmènerai le lecteur
dans la recherche que j’ai accomplie pour retrouver les traces du penseur.
Les difficultés rencontrées sont à la hauteur de la
méconnaissance qui entoure cette source mais elles nous ont permis
d’explorer tout le champ entourant l’auteur. Pour comprendre son texte
et sa démarche, nous devions entrer dans toutes les conditions de
sa propre maturation.
L'Essai, dont je possède un exemplaire original, se présente sous la forme d'un livret relié de 28 pages (l9,8-23,3 cm.) publié par l'Imprimerie Jean Martel Ainé à Montpellier dans une belle typographie sur papier chiffon pressé. Cet Essai a été présenté à l'Ecole de Médecine de Montpellier; le 8 Germinal an IX (avril l801). Quand un ami, chercheur et connaisseur, m’a remis cet Essai en cadeau, sachant mon intérêt pour les déchiffreurs de rêve, j’ai été intrigué à la fois par l'intérêt du contenu en dépît de sa brièveté, par le fait qu'il avait été soutenu dans la prestigieuse Ecole de Médecine de Montpellier et que, à ma connaissance , il n'en avait jamais été fait référence dans les travaux portant sur le rêve, ni dans les diverses Histoires de la médecine ou de la psychiatrie . A ce jour, je ne connais pas d'autre publication analogue de l'auteur et il n'est nulle part cité dans l'ensemble des œuvres de Freud qui recherchait avec précision les travaux ayant pu frayer la voie à ses propres intuitions sur les liens du rêve et du fonctionnement psychique . Il se peut donc que Cognasse Desjardins n'ait pas prolongé lui-même ses recherches fructueuses : en un domaine différent, l'exemple de Rimbaud est typique en la matière. Il se peut également que les écarts positifs qu'il présentait par rapport à l'époque ne pouvaient être entendus ni de lui-même ni a fortiori de ses lecteurs (nous devons nous souvenir que Freud ne vendit que 351 exemplaires de la Traumdeutung en 6 ans, ce qui montre le péril couru par la science en cas de découragement des chercheurs). Cognasse Desjardins se présente comme originaire de Troyes dans l'Aube, ville avec laquelle il conserve des liens et des occasions d'y exercer son art clinique ; l'exemple qu'il rapporte d'une observation faite à Troyes sur la sensibilité d'un sourd-muet à la musique semble le prouver, à moins qu'il ne s'agisse que d'un souvenir ancien, préalable à ses études de médecine . Un En-tête savamment composé et gradué en tailles de caractères différents fait plus que dédier l'Essai, il le situe dans une relation affective marquée par la souffrance existentielle. L'Essai est dédié d'abord
Cette même existence semble avoir
été problématique car la dédicace s'adresse
ensuite
et l'auteur fait suivre ces mots d'une
grande absence significative, composée curieusement non pas de "deux"
indications parentales -comme l'on pourrait s'y attendre- mais de "trois"
lignes composées de points espacés et comprenant chacune
l4 points gras qui s'étendent depuis le début ("des auteurs")
jusqu'à la fin ("de mes jours") :
Enfin la troisième dédicace s'adresse "A
La typographie de cette dédicace
est très élaborée. J’ai tenu à donner ces précisions
sémiologiques car les signifiants sont eux aussi porteurs de l'un
des sens à interroger . Cognasse Desjardins nous apparait ainsi
comme un homme très affectueux, sensible et délicat, capable
d'extérioriser sa vie personnelle et d'en cacher ostensiblement
quelques pans douloureux, marqué par les duretés de l'existence,
capable aussi d'apprendre d'autrui et de manifester sa reconnaissance,
sensible aux liens d'engendrement et amoureux de la vie. C'est un psychothérapeute
existentiel avant l'heure.
Pour pouvoir analyser l'apport de Cognasse Desjardins, je vais d'abord présenter la liste des thèmes qu'il aborde, en indiquant avec précision la page où ils se situent il est utile, en effet, de préciser ces repères car les règles d'écriture et de composition de l'Essai ainsi que son vocabulaire ne correspondent pas aux exigences contemporaines et ne rendent pas la lecture très aisée. Le lecteur pourra, ultérieurement, se reporter au texte complet de l'Essai (II° Partie, § 1). page
thème
page 4 Les autorités
page 5 le songe, signe de l'état
des corps (Fernel)
Histoire
page 6 b) les esprits forts n'apprécient
pas cette distinction,
page 7 c) la théologie
veut régenter la psychologie.
page 8 mais il faut éloigner l'idée d'une âme prévoyante. Début de l'exposé de
la théorie de Cognasse Desjardins,
Les faits selon Cognasse Desjardins : 1° la sensation est la suite
d'une modification corporelle
page 9 Exemples donnés par Pinel,
Bonet
page 10 3° la loi de base : association
des sensations/idées,
page 11 4° l'association n'est pas
seulement temporelle,
page 12 Utilisation de ce glissement dans
la conversation.
Théorie de Cognasse Desjardins, basée sur ces faits Définition du songe :
page 13 Dans le songe, l'absence de sensation
ne peut faire percevoir
page 14 Exemples. page 15-16 Influence des aliments, poisons,
opiums, narcotiques.
page 17 Le constat de ces mécanismes
(théorie) permet d'être
page 18 -sur les modifications maladives
ou sur leur absence.
page 19 Ce qui importe pour le diagnostic,
c'est l'inhabituel.
page 20 Certains songes sont typiques d'affections corporelles. page 21 Plus il y a de liaisons, plus le
rêve a été continu.
page 22 signe précurseur de manie
et autres aliénations.
page 23 Importance des songes de sensations internes. page 24 Les désirs se manifestent
dans les songes.
page 25 Importance du "sens intérieur"
pour prévoir l'évolution.
page 26 Découvrir les "ressources"
du malade dans ses songes.
3. A la recherche de Cognasse Desjardins perdu Un premier sondage épistolaire auprès de la Bibliothèque de Montpellier ; m’apprend qu'il n'y a pas trace de notre auteur, pas plus qu’il n’y en a dans les Index des travaux importants, précis et incontestés, de Dulieu sur la médecine à Montpellier; . Je recherche alors à la Bibliothèque
Nationale de Paris pour le cas où l’auteur y aurait poursuivi sa
carrière dans l'Ecole de Médecine rivale. Un élément
d'importance se confirme: l'auteur est absent du "Catalogue général
des livres imprimés de la Bibliothèque Nationale" . Il est
également absent de l'exhaustif Index-Catalogue of Library of the
Surgeon-General's office (l882) qui se trouve à la Bibliothèque
de l'Ecole de Médecine de Paris et qui ne se contente pas de citer
de nombreux ouvrages rares mais indique souvent la bibliothèque
dans laquelle on peut les trouver. Il n'apparait pas davantage dans la
Bibliographie de la littérature française de 1800 à
1930 de Hugo P. Thième .
Si nous nous orientons vers la recherche des anciennes thèses de médecine de Paris -pour le cas où il y aurait présenté une thèse- nous constatons qu'il est absent du "Catalogue auteurs et anonymes de la Bibliothèque de l'Ancienne Faculté de Médecine de Paris, des origines à l953" , absent de la "Table Générale des Thèses soutenues à la Faculté de Médecine de Paris depuis le 28 Frimaire An VIII (l7-l2-l798) jusqu'au ler janvier l816" . La première thèse sur les Songes qui y est enregistrée est celle de S. Gadon intitulée "Sommeil, Songes et Somnambulisme" (n° 98 du 25 août l808). Il n'est peut-être pas surprenant de ne pas trouver tous les documents concernant l'Ecole de Montpellier à la Bibliothèque Nationale car la rivalité vive entre les deux phares de la médecine à l'époque entrainait parfois une non-communication des travaux de la première vers la seconde, qui prétendait la supplanter, en dépit de certains accords passés. Tentons de préciser la recherche,
comme je l’ai réalisée.
Le rôle d'organisation de la médecine
par l'Ecole de Paris apparaît. Il me semblait probable que l'Essai
sur les Songes pouvait relever de cette phase intermédiaire et constituer
cette Thèse de régularisation. En effet, il y avait à
Paris quatre modes de réception pour le Doctorat et "la quatrième
espèce de réception, qui, comme les deux précédentes,
n'exigeait du Candidat que la Thèse, était fondée
sur les articles XXXI et XXXII de l'arrêté du 20 prairial"
et cet article XXXI décrit les conditions de la régularisation:
Précisons que seulement 10 thèses in-8° furent soutenues à Paris en l'An VII, 8 en l'An VIII, 18 en cet An IX, 97 en l'An X et 244 en l'An X Une hypothèse se présente à nous: notre auteur pouvait être un des membres de ce groupe très restreint en France des médecins en cours de régularisation administrative. Ces données administratives deviennent plus concrètes quand on connait la vie mouvementée des Universités à cette époque : l'Université de Montpellier fut fermée de l792 à l795 et Chaptal y déclarait en l789 : "La Révolution qui s'effectue est une belle chose mais je voudrais qu'elle fut arrivée il y a vingt ans. Il est fâcheux de se trouver dessous quand on démolit une maison et voilà notre position". Pour donner la mesure de la répercussion des troubles politiques dans la vie des administrateurs, pédagogues et chercheurs exerçant leurs fonction dans des institutions séculaires dont l'histoire a été inévitablement liée à celle des pouvoirs antérieurs, je citerai un exemple concret, de valeur nationale : "une loi du 24 juin 1792 ordonnait de brûler tous les papiers qui faisaient mention de titres de noblesse : c'était proscrire en masse tous les documents de notre histoire nationale. Des ordres pour l'exécution de cette loi frénétique furent signifiés au gardien des archives...". Les archivistes tentèrent de s'opposer à ce que Ropra, commis aux archives à Lille appela, "une opération qui n'est comparable qu'à l'incendie d'Alexandrie". La lettre de Ropra, d'un courage extraordinaire, est une pièce historique dont je mets le texte en Annexe. Nous comprenons alors dans quel contexte scientifique incertain Cognasse Desjardins et ses enseignants ont pu vivre ces années qui ont précédé l'Essai sur les Songes. Dans ce contexte historique bouleversé
et fluide, ma recherche semblait ne pas pouvoir aboutir cependant,
muni de ces quelques renseignements qui me fournissaient quelques hypothèses
et constatant qu'il n'y a pas trace non plus de Cognasse Desjardins dans
l'Exposé des travaux de l'Ecole de Médecine de Montpellier
pendant l'An X, déposé à Paris et qu'il ne figure
pas dans les archives de l'Ecole de Médecine de Paris , je poursuis
la recherche à Montpellier pour explorer des sources spécialisées,
internes au fonctionnement de l'Ecole, afin de tenter de rencontrer Desjardins
dans les documents qui décriraient cette fois la vie quotidienne :
Programme des cours et conférences, Discours de rentrée des
facultés, Rapports sur les travaux, Réglements intérieurs
et circulaires , etc.
Desjardins apparaît alors dans le
document suivant :
Le registre des inscriptions comporte, de la main de Desjardins, son identité et sa signature pour les 1°, 2° et 3° inscriptions du Trimestre de Nivôse, An IX. Nous découvrons aussi son environnement d'études, ses collègues dont la plupart n'auront pas laissé de traces dans l'Histoire (Julia, Giraud, Dejean, Boué, Dupont, Chauvet, Liaubet, Jouve, Canron, Bosc, Cazes, Goudard, Brouillet, Lautaret, Boyer, Azemar, Calmon, Pradel, Pons, Falyac, Serre, Lagarde, Callé, Choisy, Pautrier, etc.) venant surtout du Sud de la France : Narbonne, Vaucluse, Hérault, Gers, Loire, Cantal, Bouches du Rhône, Aude, Haute-Garonne, Basses Alpes, Tarn, Aveyron, Pyrénées Orientales, Lot, Lot et Garonne, Gironde, Dordogne, et "d'Hispania". Desjardins est donc un des quelques étudiants originaires des pays du Nord plus proches de Paris. Dans le passé, ils étaient beaucoup plus nombreux à descendre jusqu'à Montpellier par le courant de migrations qui se faisait le long du sillon rhodanien. 4. Cognasse Desjardins, l'étudiant
de l'Ecole de Médecine de Montpellier
La vie quotidienne de ces étudiants,
leurs conditions difficiles de vie, leur niveau de qualification et les
conditions d'exercice de la médecine nous apparaissent à
travers les "Délibérations du Vingt huit floréal An
Cinquième" de l'Ecole de Médecine :
Je pense avoir identifié les conditions de rédaction et d'impression de cet Essai sur les Songes. Une autre délibération pittoresque
du "cinq floréal An septième de la République Française,
Une et indivisible" nous éclaire sur l'existence du registre des
inscriptions de Montpellier, sur le comportement des étudiants,
sur les conditions de vie et de déplacement des étudiants
et sur les exigences des formateurs :
Montpellier n'est pas la seule Université
à pouvoir revendiquer cette force de pression exercée envers
les autorités. A Paris, dès 1200, les étudiants obtenaient
de Philippe Auguste que tout prévôt prétât serment
devant les "écoliers" dans une église. Ces privilèges
leur seront confirmés en 1229 par Louis IX, en 1276 par Philippe
le Hardi et en 1297 et 1301 par Philippe le Bel Ils suivaient en cela l'exemple
de Bologne, en 1158.
L'étudiant "Chef de la Clinique" Un mystère n'est pas encore élucidé. Comment un simple étudiant qui passe une thèse, peut-être dans des conditions rapides et bouleversées, peut-il invoquer le titre de Chef de Clinique qu'il imprime dans son En-tête ? Plusieurs hypothèses se présentent. Ou bien, nous sommes dans un cas analogue à celui des chefs de clinique actuels ou internes en médecine actuels qui peuvent avoir un haut niveau scientifique et une longue expérience clinique et universitaire sans avoir soutenu leur thèse ; Dulieu a étudié cette question historique et a répondu par la négative. Ou bien, nous ne connaissons pas ce que recouvre cette appellation de Chef de clinique à cette époque, et il nous faut le préciser. H. Fouquet a consacré sa vie à fonder et à développer la clinique à Montpellier. Dès l'an III, il promulgua avec le Citoyen Pétiot une "Organisation intérieure de l'Ecole Clinique interne de Montpellier", insérée dans un "Programme des cours d'enseignement dans l'Ecole de Santé de Montpellier" . En l'An XI, après l'Essai, il prononcera son grand Discours sur la Clinique que nous rencontrerons plus loin. En 1803, l'adjuvat de clinique fut élevé au rang de seconde chaire, situation qui s'est prolongée jusqu'à l'époque actuelle. Dans le chapître II du Programme de l'An III, intitulé "Des fonctions des Elèves", Fouquet crée la fonction de "Chef de la Clinique" qu'il définit en ces termes : "Article premier.
Ces précisions nous permettent de mieux comprendre plusieurs points qui nous semblaient contradictoires : la passation de la thèse, d'une part et, d'autre part, la maturité de la pensée et l'attribution d'un titre comme celui de "Chef de la Clinique". Cognasse Desjardins n'était donc pas un adjoint d'un professeur (probablement le Professeur Fouquet lui-même, puisqu'il se réfère à lui dans l'Essai), mais l'un de ses deux meilleurs élèves, affecté à la clinique en tant que stagiaire, et il a donc été choisi ainsi qu'un autre pour être distingué et chargé de responsabilités, cela au vu de la qualité de ses connaissances et de sa personne. Donc, nous sommes parvenus à faire la synthèse des apparentes contradictions. Nous pouvons préciser maintenant quelles étaient les fonctions de Cognasse Desjardins comme Chef de la Clinique. La suite du réglement l'indique :
Cette fonction de Chef de la Clinique se distingue de celle de simple Elève. Nous pouvons lire ces précisions dans le fac-similé du réglement d'organisation placé en Annexe 3. On le voit, cette fonction de "Chef de la Clinique" (et non "Chef de Clinique") était une fonction de très grande responsabilité. Hormis la prescription de soins ou la réalisation d'opérations, le chef de clinique avait une véritable autorité sur le service, sur les élèves et sur le personnel. Le Professeur manifestait par là qu'il distinguait un élève et le préparait à de grandes responsabilités ultérieures de chef de service et d'enseignant universitaire. En effet, le Chef de la Clinique est choisi et non nommé après concours, contrairement à l'interne, il n'exerçait que dans un service clinique d'enseignement. Cependant, le Chef de la Clinique pouvait n'avoir qu'un passé d'étudiant assez bref puisque, dans la définition ultérieure de la fonction qui se voudra plus exigeante, huit inscriptions seront exigées pour être candidat . 5. Contexte historique de l'Essai sur les songes Pour comprendre l'Essai, nous devons situer l'opuscule dans son environnement historique bouleversé. L'Essai est marqué de l'An IX (1801). Depuis l'équinoxe d'automne l972, le calendrier grégorien est abol Le citoyen Desjardins vit dans le rythme des mois de 30 jours (Vendémiaire, Brumaire...) divisés en 3 décades (primidi, duodi, tridi) ; ce mélange étonnant de poésie et de mathématiques est l'œuvre du Carcassonnais Fabre d'Eglantine, l'auteur de "il pleut, il pleut bergère" qui termina bien mal sa carrière poético-politique puisque le tribunal révolutionnaire l'envoya à la guillotine. Le Languedoc a été dissous, divisé le 31 août l791 en 8 départements : Ardèche, Aude, Gard, Haute-Garonne, Hérault dominé par Montpellier, Haute-Loire, Lozère et Tarn. Le Club des Jacobins de Montpellier fut l'un des premiers en France à demander l'avènement de la République, le 28 juin l781, six jours après l'affaire de Varenne, près de Verdun, ligne fatale pour Louis XV En l793 également, le zèle de Montpelliérains leur fit constituer des bataillons de sans-culottes qui apportèrent leur concours aux jacobins face aux fédéralistes et face aux contre-révolutionnaires. Tout cela n'était pas qu'enthousiasme révolutionnaire, c'était aussi une bonne occasion pour reprendre une autonomie et prolonger certaines querelles séculaires. En l'An IX, la bourgeoisie avait déjà
repris en mains ses affaires mais elle commençait à échouer
dans la gestion du pays. Les derniers soubresauts révolutionnaires
vont se dissiper sous le Directoire tandis que le fougueux Bonaparte va
voler de victoires en victoires en Italie, voguer vers l'Egypte d'où
il est revenu après son échec militaire devant St Jean d'Acre
; de Fréjus il remonte à Paris et se fait nommer Premier
Consul. Un deuxième Consul, Cambacérès est originaire
de cette ville de Montpellier ; il deviendra Archichancelier de l'Empire
et co-rédacteur du Code Civil.
Dupont-Constant avait établi à Montpellier les fameux Instituts Philanthropiques dont il avait parsemé tout le Sud-Ouest. Sous couvert de philanthropie, sous la forme d'une association qui ne s'affronterait nullement aux groupes révolutionnaires ni aux partis politiques, il organisait en fait l'évasion des prisonniers et préparait une insurrection pour l'été l799 dans le but de placer Louis XVIII sur le trône. Rien qu'en Haute-Garonne, 15000 membres adhèrent à ses Instituts Philanthropiques . Ce qui semblait bien préparé s'effondra au cours du mois d'août car les différentes sections entrèrent en action sans coordination et à des dates différentes, ce qui permit au gouvernement de liquider l'une après l'autre les tentatives de rebellion. Il faut ajouter les luttes intestines entre nobles et roturiers, la non coordination avec les tentatives de soulèvement en Charente et en Bretagne ou en Vendée L'agitation atteint son paroxysme à Toulouse mais elle se termina par des arrestations, fusillades de rebelles et, finalement, le Directoire se montra bon enfant en libérant les milliers de paysans qui avaient tenté de jouer aux Vendéens. Les départements de l'Ouest n'étaient pas prêts pour s'associer en août au soulèvement ; ils se mirent en route trop tard, en septembre quand, déjà, la pression diminuait aux frontières : en Hollande, Brune refoulait les Anglo-Russes qui capitulaient le l8 octobre l799 ; à Zurich, Masséna l'emportait sur les Austro-Russes et le 9 octobre Bonaparte débarquait à Fréjus. Quand les Chouans s'emparaient du Mans, de Nantes et de Saint-Brieux entre le 15 et le 30 octobre, il était trop tard. Hédouville et Travot avaient les moyens de les vaincre et le coup d'Etat du 18 brumaire (9 novembre) achèvait de semer la déroute parmi les révoltés : Bonaparte déplaça Brune et ses troupes dans l'Ouest. On le voit, Montpellier a été touché fortement par ces mouvements même s’il n’en avait pas été le foyer principal. Déjà les émigrés
rentraient et s'imaginaient que Bonaparte allait restaurer Louis XVII.
Ce dernier écrit à Bonaparte le 20 février l800 :
Bonaparte ne court pas au secours de l'aspirant
; le 14 juin, c'est la victoire de Marengo qui repousse les forces autrichiennes
en Italie et Bonaparte peut se permettre de répondre avec clarté
le... 7 septembre l800 :
Quand Moreau remporte la victoire de Hohenlinden, le 3 décembre l800, l'Autriche n'insiste plus et demande la paix et les chefs contre-révolutionnaires signent les uns après les autres une lettre de pacification. Les derniers insoumis modifient leur tactique et cherchent à s'en prendre directement à la personne de Bonaparte. C'est l'attentat commis par des Chouans le 24 décembre l800, rue Saint-Nicaise à Paris. Quelques exécutions, des emprisonnements et une centaine de déportations mirent fin à ces tentatives. Bonaparte avait rétabli le calme en France et avec ses voisins pour quelques années. En février 1801, c'est la paix de Lunéville et la paix en Europe ; l'Angleterre, pour la première fois depuis de nombreux siècles accepte la paix et les frontières naturelles que s'est donnée la France. Une source de tension reste cependant mais elle ne concerne pas la France : les Etats nordiques n'apprécient pas que l'Angleterre sorte, seule, invaincue de ce conflit qui a opposé les nations à la France. Il fallut attendre l803 pour que les complots reprissent, à l'occasion de la tension nouvelle dans les relations avec l'Angleterre. A l'époque de l'Essai sur les songes, la France est donc absorbée par la pacification interne et par la création d'une organisation administrative (Conseil d'Etat, Corps législatifs, Sénat, Cour d'Appel, Banque de France, etc). C'est l'époque de la création du corps des "fonctionnaires". Le rétablissement de la paix extérieure à Lunéville, le 9 février l801 puis à Amiens apporte un apaisement de la tension sociale et attirera, ensuite, une grande popularité à Bonaparte. La France vivait alors dans ce climat particulier qui caractérisait la Constitution de l'An VII Le règne de l'arbitraire et des pleins pouvoirs y est organisé légalement. Le premier Consul cumule les pouvoirs pour 10 ans en toute irresponsabilité. Pourvu d'un traitement "royal", il règne en maître absolu, fait admettre que le Sénat a le droit de juger... l'inconstitutionnalité des lois, de réviser la Constitution par simple accord avec le Gouvernement par l'édiction de senatus consulte. Et cette machine passe à l'action le 15 nivôse de cet An IV avec le senatus consulte du 5 janvier l801 . 6. Contexte scientifique de l'Essai sur
les songes
A cet époque, A. Comte, le futur fondateur du positisme, est né il y a 3 ans à Montpellier Dans quelques mois, naîtra V. Hugo ("ce siècle avait deux ans, Napoléon perçait sous Bonaparte.."). Le mot "psychiatrie" va être prochainement
créé ainsi que celui de biologie. Pinel vient de publier
son “Traité médico-philosophique sur l'aliénation
mentale ou la manie” . Desjardins cite Pinel, épisodiquement, au
même titre que d'autres considérés comme une caution
de sens clinique. Il est invoqué pour illustrer le fait que, chez
certains malades, la seule position du corps peut déclencher des
processus imaginaires puissants ("entendre des voix").
En fait, après l'impasse médicale des thérapeutiques violentes envers les aliénés développées à travers l'Europe par l'Ecole d' H. Boerhaave (1668-1738) qui prônait aussi bien les purgatifs intensifs que les chocs physiques, les bains de glace ou la fameuse chaise rotative dont Rush (l745-l813) se fera l'apôtre dans la psychiatrie américaine naissante, après la conception violente de Brown (l735-1788) qui "tua plus de gens par ses remèdes allopathiques que n'en ont tué la Révolution française et les guerres napoléoniennes", selon l'appréciation d'un historien de la médecine , l'Europe avait aussi été traversée par un vent puissant de libéralisme thérapeutique. Dans les hôpitaux psychiatriques, dans leur conception, dans la libération des malades enfermés, dans les méthodes de traitement, l'Italie réalisait les réformes de l'Ecole de Vincenzo Chiarugi (l759-l820) qui devança Pinel dans sa révolution. A Würsburg, Anton Müller réalisait les mêmes progrès mais il faut surtout insister sur l'œuvre de J. G. Langermann (l768-l832), en Bavière, près de Bayreuth. En Angleterre, les Quakers avaient déjà une tradition de réformes qui atteint son point culminant avec Tuke En Espagne, la situation est particulière car la psychiatrie n'avait jamais atteint le niveau de régression qu'elle avait connue en France envers les malades mentaux. Arnold de Villanova, Professeur de médecine de Montpellier (l240-1313) y avait exporté une médecine humaine, psychologique et y avait laissé une tradition humaniste stable. Il avait découvert l'hallucination, l'épilepsie et, surtout, la vie émotionnelle du malade. Comme le remarquent les historiens, les médecins espagnols n'eurent pas besoin de libérer leurs malades des chaînes. Nous sommes alors dans une époque scientifique préoccupée par la classification et la nosologie à la suite des importants progrès des sciences naturelles. F. Boissier de Sauvages (l745-1813) avait répertorié plus de 2OOO maladies. Cullen avait inventé les différentes "neuroses" dont la 4° catégorie était constituée par les "vésanies". Pinel présentait des classifications différentes des névroses d'une édition à l'autre dans un langage qui alliait les termes archaïques comme les vapeurs (dans la ligne des nombreux Traités sur les vapeurs de Raulin l758, Pomme l760 et Whytt en l764) aux termes qui sont restés nos instruments de diagnostic. Nous sommes donc dans une époque charnière qui fraye les voies de la pensée scientifique et de la pensée politique contemporaines. Mais, de même que sur le plan politique le renouveau prochain de l'Empire va puiser sa force dans l'exploitation de modèles antiques, on constate dans les sciences l'abandon des diverses impasses où avaient mené certains travaux des deux siècles précédents et le désir de retrouver certaines idées fructueuses de l'Antiquité. Cette tendance est marquée par un grand retour à la médecine naturelle, hygiéniste et synthétique d'Hippocrate au delà des théories scolastiques et du systématisme verbal des "médecins de Molière". Cette nouvelle tendance pragmatiste est marquée par la vogue de l'empirisme anglais, du sensualisme et de l'associationnisme (Condillac a pu rayonner jusqu'en l780) où prédominent les noms de Sydenham et de Locke qui marquent l'entrée historique dans notre ère clinique comme l'a montré Foucault dans son Histoire de la Folie et dans La Naissance de la Clinique . Mais nous verrons que Cognasse Desjardins ne tombe pas dans les conceptions mécanicistes et atomistes des associationnistes. Une étape importante avait été franchie dans la "métapsychologie" des symptômes et maladies par Willis qui, vers l670, avait montré la part majeure des processus mentaux et cérébraux dans ce qui avait paru n'être jusque là qu'un processus corporel attaché aux organes (hystérie) ou aux humeurs (hypocondries). Il va de soi, cependant, que tous les courants anciens restaient présents et que nous ne devons pas -à la lueur des travaux qui se sont révélés fructueux ultérieurement- trier et filtrer parmi la masse des ouvrages thérapeutiques également présents et qui n'ont pas laissé de descendance. La phrénologie de Gall (1734-1815) de même que le magnétisme de Messmer (l734-1815) tentaient également les jeunes médecins. Ici suite du livre |